23 janvier
Le retour de Donald Trump est sans doute l’un des plus grands comebacks politique de tous les temps. De quoi est-il le nom ?
“Liberation day” (jour de libération), “Welcome to the golden age” (bienvenue dans l’âge d’or des Etats-Unis), “the impossible is what we do best in America” (l’impossible n’est pas amércain), voilà quelques phrases choc reprises à l’envie cette semaine par Donald Trump lors de ses nombreux discours et dans ses réponses – sans filtre- aux journalistes à Washington.
La foule venue le soutenir le 20 janvier dernier est à l’image de son électorat et de l’Amérique finalement : agriculteurs MAGA aux visages fatigués du Midwest, couples huppés, activistes anti-IVG, jeunes familles noires issues de la classe moyenne, américains d’origine chinoise - American Born Chinese (ABCs)- farouchement opposés au Parti communiste chinois et à la Chine de Xi Jinping.
Donald Trump aura levé 107 M$ pour l’inauguration (quand Joe Biden récupérait 62M$ en 2021 pour le même évènement), en particulier grâce au patronat américain, présent au jour 1 de la présidence : des grands patrons traditionnels et de l’industrie à la tech, avec quelques discrets tout de même comme le patron d’Uber, redoutant peut-être les décisions de l’incontournable Elon Musk qui pourrait proposer un « fast-track » aux véhicules autonomes au détriment des chauffeurs traditionnels…et une fin de l’ubérisation de la société ?
Sur la forme, Trump développe un narratif de puissance rythmé par le groupe YMCA (ndrl : Young Men Christian Association), dit s’entourer, avec une rhétorique masculiniste, des hommes les plus riches et forts du monde et annonce un programme « musclé », notamment en matière internationale, dont les contours sont encore flous, voir ci-dessous.
De son côté, l’impopulaire président sortant Biden justifie l’échec des démocrates par sa non-investiture par le Parti et regrette avoir passé plus de temps sur les politiques publiques (policies) qu’à faire de la politique (politics), ces quatre dernières années. A sa décharge en 2024, les Etats-Unis sont plus attractifs que jamais : la part des investissement directs mondiaux entrant vers les États-Unis est passé à 14,3% contre 11,6% en 2023 (forte demande des consommateurs, incitations gouvernementales et croissance de la productivité).
Outre les mots, c’est l’ampleur des directives prises par D.Trump qui frappent. 200 mesures exécutives (décrets, proclamations et mémorandums) ont été signés : selon le Washington Post, le 47e président a promulgué un nombre record de 26 décrets au premier jour de son mandat, trois fois plus que son prédécesseur Joe Biden à la même date l’an dernier.
En matière d’immigration et de limitation du droit du sol, pierre angulaire du programme électoral de Trump, le New York Times rapporte, en Une, que le président a enrôlé l’armée. Ses directives pourraient aller à l’encontre des limites légales en matière d’opérations nationales et de garantie constitutionnelle de la citoyenneté de naissance selon le 14ème amendement de la constitution. Première salve d’une longue bataille judiciaire : 22 États démocrates ont déjà porté plainte contre le décret remettant en cause ce droit.
Dans le secteur de l’énergie, l’urgence énergétique est aussi déclarée : l’administration Trump promeut les énergies fossiles mettant en avant la déréglementation pour favoriser une énergie abondante et bon marché (le prix du gallon est à 1.87$). La plupart des décrets en la matière exigeront que les agences fédérales abrogent des réglementations, un processus qui prend du temps. Et les groupes de défense de l’environnement intenteront probablement des actions en justice. Les grandes banques américaines suivent telles que Citigroup, Bank of America, Goldman Sachs, Wells Fargo, Morgan Stanley et JP Morgan qui ont quitté la Net-Zéro alliance (NZBA) sous la pression croissante du parti républicain contre la finance verte. Sans remettre en cause leurs engagements climatiques, elles ont exprimé leur intention de continuer à financer les énergies fossiles.
In fine, la dominance énergétique des Etats-Unis est une valeur cardinale et gardons en tête que les Etats-Unis ont construit leur sécurité énergétique sur les énergies fossiles, alors que la Chine maîtrise aujourd’hui les énergies renouvelables.
Sur le plan domestique, deux piliers majeurs qui constituaient la plateforme programmatique des démocrates ces dernières années sont dénoncés par D.Trump, fidèle à ses promesses de campagne contre le wokisme : d’abord la lutte contre les politique pro-climat et la chasse à la politique DEI (Diversity, Equity, Inclusion). Le gouverneur de Floride DeSantis fer de lance de l’anti-wokisme a largement inspiré ces mesures dénonçant par exemple la théorie du biais implicite (implicit bias) développée dans certaines entreprises privées (comme Amazon) et accusant tout citoyen blanc de biais raciste.
C’est ainsi qu’en matière de diversité, d’équité et d’inclusion, les agences fédérales ont reçu l’ordre de cesser leurs opérations le 22 janvier et devront licencier ou réaffecter le personnel. Tour langage inclusif explicite ou implicite doit être banni. D. Trump a également demandé aux agences d’enquêter sur le respect de ces lois par les entreprises privées et les fondations. La chaîne MSNBC souligne le zèle de M. Zuckerberg en la matière.
Bref, si votre titre professionnel contient le mot DEI ou climat, vous êtes virés entend-on communément à Washington ces jours-ci.
Alors que la Chine connaît un surplus commercial de 1000 Mds$ (dont 1/3 est assumé par les Etats-Unis), les Etats-Unis ont un déficit abyssal de 1000 Mds$.
Ainsi depuis plusieurs semaines, D.Trump a qualifié le mot tarif de plus « beau mot du dictionnaire » (devant Dieu et l’amour !), et il entend utiliser les droits de douane non seulement pour le commerce, mais aussi pour augmenter les recettes publiques, exercer une pression sur les partenaires et prévenir la délocalisation. Les tarifs douaniers sont des outils à tout faire au-delà du commerce et alors qu’ils devaient être mis en place au jour 1 de la présidence on parle désormais du 1er février contre le Mexique et le Canada, et ils viseraient plutôt à mettre un terme à l’immigration clandestine et à la circulation des drogues illicites. En attendant, le secteur automobile, plongé dans l’incertitude, se prépare à l’impact.
D. Trump a réitéré son intention d’imposer 10% supplémentaires à la Chine dès le premier février ainsi que des droits de douane à l’Europe et aux BRICS. Mais s’agissant de la Chine, l’examen de la politique commerciale devant y aboutir ne doit pas commencer avant le premier avril.
S’agissant des pays européens, Trump a déclaré que les droits de douane étaient le « seul moyen » pour les Etats-Unis « d’être traités correctement ». « L’UE est très mauvaise pour nous. Ils nous traitent très mal. Ils ne prennent pas nos voitures ou nos produits agricoles. En fait, ils ne prennent pas grand-chose (…) donc ils sont bons pour des droits de douane », a-t-il dit. Valdis Dombrovskis, commissaire européen à l’économie, a indiqué que l’UE répondrait de manière proportionnée.
Trump met en avant une approche transactionnelle du monde, loin de l’isolationnisme traditionnellement associé à sa doctrine « America First ». En contraste, Marco Rubio, lors de son audition de confirmation en tant que Secrétaire d’État, a présenté sa vision pour une politique étrangère « America First », cherchant à contrer la coalition des nations hostiles et à réduire la dépendance des États-Unis aux chaînes d’approvisionnement étrangères. Rubio a également souligné l’importance de recentrer l’économie américaine sur la production nationale et, contrairement aux déclarations du Président Trump, de renforcer les dépenses de défense des alliés européens.
La menace posée par la Chine est un point de consensus fort aux Etats-Unis : le « China shock » fait référence à l’impact de l’augmentation des exportations chinoises sur l’emploi manufacturier aux États-Unis (et en Europe) après l’adhésion de la Chine à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001 et le commerce comme outil d’influence chinoise est largement dénoncé à Washington. Marco Rubio a d’ailleurs rencontré cette semaine ses homologues australien, indien et japonais pour contrer la montée en puissance de la Chine (sous forme d’un groupe de travail indopacifique qualifié de « Quad », la quadrilatérale).
Dans le même temps ironiquement la Chine consolide sa stratégie « made in china 2025 » sous-tendue par la « self-reliance » ou encore « taking things into our own hands », des discours qui rappellent furieusement ceux tenus aux USA…
Trump cherche-t ’il un deal avec Xi Jinping ? C’est la rumeur qui circule à Washington car in fine c’est la bottom line (le résultat net, un terme comptable) qui compte. Preuve en est le rétablissement de la plateforme TikTok après quelques heures (elle aide les petits commerces et a contribué au succès de Trump chez les jeunes électeurs) et le décret présidentiel qui propose une joint-venture avec l’entreprise. « J’ai le droit de conclure un accord » assure le Président qui s’est dit ouvert au rachat de la plateforme par E. Musk, « s’il le veut », tout en proposant à Oracle de la racheter. Bytedance (la maison-mère) est opposé à la vente de TikTok.
Aucun mot n’a été prononcé sur la Russie dans le discours inaugural et on évoque déjà la reconstruction de l’Ukraine post conflit, dans le respect de l’État de droit et avec la lutte contre la corruption comme boussole. D. Trump, a jugé probables de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie si Moscou ne négocie pas la fin de la guerre contre l’Ukraine, gelant toute aide étrangère à l’Ukraine pendant 90 jours malgré d’autres flux d’aide garantis avant qu’il ne devienne président.
Les experts américains estiment que les Etats-Unis ont une avance de 5-10 ans sur la Chine en matière d’IA et la nouvelle administration entend bien la conserver.
Des entreprises de la tech et du secteur financier se sont engagées le 21 janvier à la Maison Blanche à investir 100 milliards de dollars et potentiellement jusqu’à 500 milliards sur quatre ans, dans des centres de données pour l’IA aux États-Unis. « Il s’agit de gros sous et de personnes de grande qualité » a déclaré D. Trump.
Si la portée réelle des nouveaux engagements reste « incertaine », car il pourrait s’agir en partie de projets déjà existants, la joint-venture nommée Stargate, avec Softbank, Oracle et OpenAI comme principaux partenaires, ouvrira ses premiers centres au Texas. D. Trump a promis la création de 100 000 emplois.
Un accord qui souligne à quel point les entreprises de la tech et les responsables gouvernementaux misent sur l’IA comme avenir de l’économie américaine. La course aux talents est lancée avec la lutte contre les biais et l’usage inclusif de l’IA comme fondements.
La « AI Task Force » bipartisane de la Chambre des représentants a publié un rapport sur les enjeux de l’intelligence artificielle pour les États-Unis. Parmi les principales recommandations figurent la préférence pour des décisions « informées par des algorithmes » plutôt que des décisions « basées sur des algorithmes », c’est-à-dire privilégier la décision humaine. Figure également un moratoire fédéral interdisant temporairement l’adoption de lois étatiques sur l’IA afin de garantir une approche cohérente à l’échelle nationale, loin des recommandations du Department of Government Efficiency (DOGE) émanant d’une demande républicaine forte de neutralisation d’un gouvernement féréral vu comme intrusif et instrumental (Elon Musk parle de corriger le federal overreach).
Trump, l’homme qui refuse de s’enfermer dans des postures doctrinaires et qui travaille à l’instinct, a désormais les pleins pouvoirs pour mener ses nombreuses réformes très clivantes et à 180 degrés d’une Amérique dirigée jusqu’alors par des démocrates progressistes et pro-climat : ira-t-il jusqu’au bout ? Quelle est la part de bluff ? Quel sera le sujet de discorde avec Musk ?
La trahison venant toujours de son propre camp et les républicains traditionnels n’aimant pas l’exercice du pouvoir par décrets présidentiels, ceux-ci critiquent déjà ouvertement celui qui leur a offert une planche de salut. Ce qui est certain c’est que le monde entier a les yeux rivés sur les Etats-Unis, entre fascination et rejet, comme toujours.
La gauche américaine est quant à elle en ruine et certains observateurs évoquent déjà une nouvelle plateforme programmatique autour du thème…de la sécurité (safety). A suivre.
16 décembre 2024
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