De l’influence des nationaux-conservateurs sur la politique étrangère et économique des États-Unis - Blog de Laure Pallez

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5 juin 2023

De l’influence des nationaux-conservateurs sur la politique étrangère et économique des États-Unis

Flore Kayl et Laure Pallez
Depuis les États-Unis, nous avons enquêté sur la portée qu’a le courant National-Conservateur (NatCon ou NatCons) aux Etats-Unis, dans le cadre d’un essai biographique consacré au gouverneur Ron DeSantis, candidat à l’élection présidentielle de 2024.

Ce mouvement idéologique né en 2019 se situe politiquement à la droite de Donald Trump et tente de théoriser le mandat Trump en matière économique et de politique étrangère. Il ne s’agit pas d’un parti politique, mais plutôt d’un incubateur d’idées conservatrices et un pourvoyeur d’éléments de langage pour les républicains américains. Comme le souligne Maya Kendal, historienne et chercheuse à l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI), dans une interview qu’elle nous a accordée en mai 2023, les think tanks ultra-conservateurs - devenus plus tard des NatCons furent dès 2017 un vivier de personnel pour l’administration Trump à Washington.

Dans son podcast New Deal [1], Laurence Nardon explique que les NatCons sont favorables à un système économique illibéral et un certain rôle de l’État. La crise liée au Covid-19 et les problèmes des chaînes d’approvisionnement ont permis aux idées nationalistes de prospérer et de devenir mainstream (courant majeur) à Washington, au point que l’on observe un recentrage économique de l’Amérique sur elle-même, auquel le démocrate Joe Biden participe. L’analyste politique du New York Times Ross Douthat explique que, dans son discours de l’Union de janvier 2023, Joe Biden a proposé aux Américains ce que Donald Trump avait promis : « un nationalisme économique » avec « une politique bipartisane sur les infrastructures » ; la promesse d’« acheter américain » (buy American) ; et des investissements pour soutenir la compétition technologique avec la Chine » [2]. Il devient aujourd’hui évident que le courant national-conservateur influence la politique économique américaine voire fait presque consensus.

Quant à la politique étrangère, celle de l’administration Biden repose sur trois axes, comme nous l’explique Emily Benson, chercheuse au CSIS (Centre for Strategic and International Studies) à Washington : d’abord la lutte contre le changement climatique, ensuite le renforcement de la sécurité américaine nationale, et enfin la création d’emplois sur le marché intérieur. Sur les deux derniers points, républicains et démocrates s’accordent. Ron DeSantis le gouverneur de Floride va plus loin encore, passant d’ « America first » (l’Amérique d’abord) jusqu’à « America only » (l’Amérique seulement) : lors d’un discours intitulé La Floride contre Davos prononcé à l’occasion de la 3ème conférence des NatCons en 2022 à Orlando, DeSantis déclare : « les États-Unis sont une nation qui a une économie, et pas l’inverse. Et aider la population américaine doit être l’objectif de notre économie ». Le seul donc.

En politique étrangère, les NatCons sont isolationnistes et opposés à l’interventionnisme américain. Donald Trump a déclaré, lors de la dernière Convention républicaine annuelle (CPAC [3]) que le Parti républicain n’était plus le parti des mondialistes (globalists) d’autrefois. Les idées NatCons sur la politique étrangère ont ainsi été adoptées par Donald Trump et à sa suite progressivement par tout le Parti républicain. Cela marque une vraie rupture avec les républicains traditionnels et donne du travail aux internationalistes qui doivent urgemment repenser une doctrine.

L’anti-interventionnisme se traduit par une opposition à un soutien trop important en Ukraine, soutenue par une opinion publique de moins en moins encline à soutenir l’Ukraine selon la chercheuse Tara Varma de l’Institut Brookings à Washington. Les NatCons expriment un faible intérêt militaire pour l’OTAN, et l’Union européenne est plutôt perçue comme un partenaire commercial – voire un adversaire - avec laquelle il est difficile de faire des affaires du fait d’une hyper-régulation des normes en Europe. L’Union Européenne est parfois appréhendée comme une force tentant de faire du colonialisme normatif en imposant ses normes strictes au reste du monde, selon les dires de Mark Kennedy du Wahba Institute de Washington. Au Moyen-Orient, les NatCons soutiennent fortement Israël. Ron DeSantis est d’ailleurs celui grâce à qui l’ambassade américaine en Israël a déménagé de Tel-Aviv à la ville sainte, Jérusalem, en 2018. Les positions NatCons sont plus mitigées au sujet de Taïwan. Ils sont prêts à soutenir l’île taïwanaise contre les velléités hégémoniques de la Chine.

Comme nous l’explique Emily Benson, la perception générale de la Chine des deux côtés de l’échiquier politique est passée en moins de cinq ans de gros client (« big customer ») à grande menace (« big threat »). Depuis le survol du territoire américain par des ballons-espions chinois [4], les lignes téléphoniques sont coupées avec la Chine. Le 21 mai 2023, Biden déclarait souhaiter un dégel des relations avec la Chine [5], alors même que, selon Emily Benson, c’est sous l’administration Biden que le contrôle des exportations américaines vers la Chine s’est durci, le gouvernement américain craignant que la technologie américaine envoyée aux entreprises ou particuliers chinois ne se retrouve instantanément aux mains de l’armée chinoise. Il ne s’agit plus seulement de dissocier (« de-coupling ») l’économie américaine de l’économie chinoise, mais de réduire le risque d’exposition (« de-risking ») dans quatre secteurs stratégiques, c’est-à-dire développer un plan B pour l’approvisionnement des produits pharmaceutiques, les minerais rares, les batteries et les semi-conducteurs.

Maya Kandel nous rappelle que la Chine est la plus importante relation bilatérale des États-Unis, celle qui a ou aura le plus d’impact sur le futur ordre mondial. De leur côté, les NatCons souhaitent garder le statu quo sur le sujet de Taïwan. La position de DeSantis est claire, il l’a énoncée lors de sa récente tournée internationale au Japon : l’Amérique n’a rien à gagner à un conflit armé avec la Chine autour de la question taïwanaise. Il affirme que la Chine ne respecte que la force. Or, il faut des États-Unis puissants militairement pour faire respecter l’ordre actuel.

Les positions NatCons influencent aujourd’hui tous les courants politiques, y compris les démocrates. Il existe un consensus à vouloir entraver la croissance économique chinoise et une inquiétude bipartisane face à la montée en puissance rapide de l’armement chinois [6]. Pour les NatCons, les rôles sont distincts : l’Europe doit faire davantage pour aider l’Ukraine, afin que les États-Unis puissent se concentrer sur leur propre défense et sur Taïwan. Cette position se développe à Washington : les États-Unis désirent rester un allié de l’Europe mais celle-ci doit apprendre à ne plus compter que sur elle-même pour sa propre défense.



Notes :

[1Slate – Podcast New Deal – 8 mars 2023 - Laurence Nardon - À la droite de Trump, l’émergence du mouvement « NatCons ».

[2Biden’s Message : What Trump Promised, I’m Delivering – 7 février 2023 - The New York Times.

[3Despite Republicans cooling on him, CPAC is still the Trump show – 5 mars 2023 - NPR

[4États-Unis – Chine, la tension monte – Fondation Jean Jaurès – 2 mars 2023

[5Biden Sees Potential Thaw With China After Tough G-7 Statement – Wall Street Journal – 21 mai 2023

[6États-Unis – Chine, la tension monte – Fondation Jean Jaurès – 2 mars 2023

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