Accueil / Contributions au débat public / Défendre la place du français dans le monde, l’ambition éducative et des francophonies
L’Agence pour l’Enseignement français à l’étranger (AEFE) est l’opérateur institué par le MEAE et le législateur qui assure les missions de service public relatives à l’éducation en faveur des enfants français résidant hors de France. Elle contribue au rayonnement de la langue et de la culture françaises ainsi qu’au renforcement des relations entre notre système éducatif français et les systèmes éducatifs des pays d’accueil.
Les dotations de l’AEFE s’élevaient à environ 417 Millions € (PLF 2021), après avoir baissé brutalement de 33 millions à l’été 2017 et après un « rebasage » en 2020 de 24,6 millions qui n’a pas compensé la baisse. Si on ajoute le budget des bourses on arrive à une part d’aide de l’État d’environ 520 Millions € (hors covid), pour 535 établissements homologués, 370 000 élèves, 4 500 personnels détachés (-7% en 4 ans), 870 personnels expatriés (-20% en 4 ans). Sans recours aux personnels recrutés locaux, directement à la charge des établissements, et surtout sans les frais de scolarité supportés par les familles ce réseau ne pourrait fonctionner. Sa sous-dotation est chronique (la part toujours plus forte des pensions civiles grevant ses capacités) et l’AEFE peine à retrouver la dynamique budgétaire plus favorable dont elle aurait besoin.
Le président de la République a annoncé au lendemain de son élection - sans aucune étude préalable - le doublement des effectifs à l’horizon 2030 mais, au regard des indicateurs de masse salariale ci-dessus, comment imaginer que les 1 000 emplois détachés de l’Éducation nationale annoncés d’ici là dans de futurs établissements scolaires partenaires suffiront pour assurer la réussite de ces objectifs ambitieux ? Cela parait impossible. La soutenabilité financière doit résulter d’équilibres de politiques publiques qui dépassent la seule AEFE mais il est primordial de préserver l’opérateur si on souhaite lui faire jouer un rôle plus actif encore dans les années qui viennent, en matière d’excellence pédagogique, de formation des enseignants et de développement. Si on pense que l’AEFE ne doit participer qu’à la création de sa propre concurrence, qu’à l’ouverture de nouveaux établissements dans les mêmes villes que les EGD actuels, à quoi bon ?
Comment aujourd’hui continuer à apporter une réponse éducative globale inspirée d’un récit national universaliste et laïc, comment mieux servir les familles françaises et étrangères, comment accompagner les personnels sans un minimum de moyens budgétaires dans les prochaines années ? Il nous apparait donc que dans ce schéma ambitieux de développement, si on ne fait rien, l’AEFE perdra de l’influence si elle ne peut continuer d’assurer ses missions. Elle est désormais dans l’impossibilité d’emprunter dans de bonnes conditions car elle rentre dans une nomenclature (elle est considérée comme un organisme divers d’administration centrale), lui interdisant de recourir à des emprunts au-delà de douze mois. Il faut donc faire sauter son statut d’ODAC qui empêche tout projet de rénovation ou de construction d’établissement s’il ne peut se faire sur fonds propres ou s’il ne fait appel à une avance de moyens. Le gouvernement s’y est refusé. Après l’arrêt des activités de l’ANEFE il n’y a actuellement aucune solution pérenne de financement des projets immobiliers, pour aucun type d’établissement, ce qui peut entraver des projets et devenir dramatique à très court terme. Ce blocage pourrait engendrer des augmentations de frais de scolarité dans les EGD qui souhaitent faire des travaux, en seront empêchés et céderont un réel avantage comparatif aux établissements homologués qui misent surtout sur les infrastructures.
Nous sommes à la croisée des chemins alors que l’AEFE a passé le cap de ses 40 ans d’existence. L’État doit lui signifier son intérêt en lui faisant davantage confiance et en lui assurant un coup de pouce budgétaire pour assurer son réel potentiel dans le rayonnement de la France et de sa diplomatie économique, en mettant par exemple en corrélation sa subvention et la croissance du réseau, au lieu de la laisser filer à la dérive avec une sous-dotation chronique.
Constatant les limites budgétaires et politiques actuelles, il semble évident que le doublement des effectifs des apprenants, ne se fera que par l’ouverture de nouvelles écoles homologuées « partenaires » et signifiera forcément pour les familles des frais de scolarité considérables et cela correspondra à la privatisation de l’enseignement allant même vers des structures d’esprit libéral et mercantile. Le risque de redéploiement des moyens existants, donc de prioriser certaines zones, est là. Des établissements connaissant des problèmes de gouvernance ont déjà été amenés à dénoncer la convention qui les lie à l’AEFE. Pour l’éviter, on devrait exiger un investissement fort dans la garantie de l’homologation, le contrôle des cahiers des charges et du respect du droit du travail, des conditions locales d’employabilité sur une base coopérative, de la présence d’organisations représentatives des personnels et des parents, enfin un pilotage tout aussi fort de l’autorité publique chargée du contrôle, notamment en matière de laïcité.
Pour nous, l’accompagnement des familles françaises à l’étranger est une nécessité, et il ne s’agit pas seulement des bourses scolaires, qui ne bénéficient d’ailleurs qu’à 20% des élèves français du réseau. Il conviendrait de s’interroger aussi sur ce point. Les rallonges budgétaires post-covid ont permis de faire face et d’aider les familles boursières et non boursières qui se sont trouvées en difficultés de paiement au dernier trimestre 2019-2020, puis d’aider les familles étrangères, notamment celles du Liban. C’était le prix à payer pour éviter les fermetures des établissements, les arrivées massives de ces familles en France. En 2021, il semble que les situations soient stables malgré une baisse d’effectifs nette de 8 000 élèves, mais combien de temps des établissements fragilisés tiendront-ils ? Les reports de budgets ne peuvent se faire tous les ans.
Nous pensons donc également aux près de 70% des enfants français (des registres consulaires) qui ne sont pas scolarisés dans le réseau d’enseignement français, car ils sont éloignés des établissements ou parce que l’école française coûte trop cher... C’est une aberration politique pour nous depuis longtemps qui défendons les classes moyennes et populaires françaises de l’étranger que l’action de l’État vers eux ne soit pas plus réactive. Une majorité d’enfants français échappent à l’enseignement français et à la richesse des valeurs qu’il véhicule. Ils sont également moins liés à la France pour leur cursus complet et leurs études supérieures. Il faudrait donc réfléchir à reconquérir cet espace en développant les coopérations éducatives et envisager des filières bilingues, p.ex. Cela existe et fonctionne très bien dans certains pays. Là où existe un système éducatif local performant, c’est souvent vers lui que les familles se tournent, surtout quand ces familles sont binationales. La plupart y scolarisent leurs enfants et sont satisfaites de ses vertus intégratives. Ce système local public est sans doute le plus propice aux partenariats. Nous pourrions ainsi répondre aux besoins croissants des jeunes familles pour ces coopérations douces qui allient enseignement local complet et diplômant à des certifications en français. Alors que la coopération scolaire est d’ores et déjà dans la sphère de compétence de nos postes diplomatiques (SCAC) où en est-on en termes de partenariats, de création d’établissements communs ? Officiellement et depuis 2012, seul le label Francéducation considère cette approche de reconnaissance pédagogique mais il manque singulièrement d’ambition, même si on atteint les 500 établissements labélisés dans le monde il conviendrait de faire un état des lieux, avec eux, pour évaluer l’apport réel du label et d’envisager des perspectives de développement qualitatif de l’offre. La coopération scolaire doit, selon nous, reposer sur la réciprocité ou, pour le moins, sur un investissement considérable de la France. Y sommes-nous prêts ? Les certifications linguistiques françaises proposées par nos Instituts et Alliances sont un excellent outil pour assurer la progression de notre langue parmi ces publics qui méritent qu’on fasse un pas vers eux.
Il y a bien le dispositif FLAM-Français Langue maternelle, en périphérie de la coopération scolaire et périscolaire, mais son enveloppe budgétaire n’est pas à la hauteur des ambitions qu’on lui prête. La création d’une fédération est à saluer mais il faut passer à la vitesse supérieure, pour soutenir les associations, leur apporter un réel service en matière pédagogique et de gestion, c-a.d. que les SCAC puissent enfin y consacrer du temps et des moyens. FLAM doit rester un réseau associatif, donc souple, mais il faut sécuriser les intervenants et reconnaitre leur travail. Les élus locaux des Français de l’étranger doivent pour ces raisons pouvoir jouer un rôle moteur et accompagnateur et gagner en compétence pour intervenir auprès de l’AEFE et aider à une meilleure articulation des différents outils. Nous ne pouvons durablement nous satisfaire du dimensionnement budgétaire de ce dispositif. Sortons de cette zone de confort !
Au service de la diffusion culturelle et de la langue nos Instituts et Alliances sont les structures les plus connues, parfois les plus emblématiques dans nos pays d’accueil, les plus visibles souvent de millions de locuteurs francophones et francophiles. Ils disposent de personnels compétents pour assurer l’universalité de notre message. Ils sont en outre les spécialistes des certifications type DELF, DALF, TCF, DELF-prim… Leur savoir-faire pourrait donc davantage irriguer les publics scolaires locaux par de nouvelles synergies et refaire ainsi le lien avec de nombreux jeunes Français binationaux qui ne maîtrisent pas forcément leur langue maternelle.
Si de vraies questions se posent sur le statut des personnels et la considération dont ils jouissent, notre pays a, on le voit dans l’important dispositif existant, des ambitions culturelles pour asseoir son influence, défendre ses valeurs, conserver une assise dans un monde multipolaire où anglais, chinois mandarin et espagnol lui donnent du fil à retordre.
La France vient d’inaugurer un centre culturel franco-allemand à Palerme, fruit des accords d’Aix-la-Chapelle. C’est une très belle initiative ! Dans le même temps, la situation d’une centaine d’Alliances Françaises est très délicate. Il y a 832 Alliances présentes dans 132 pays. La plupart sont restées très dynamiques pendant la crise sanitaire mais face à la concurrence accrue sur internet et l’impossibilité de reprendre des activités culturelles, leur modèle est mis à mal. Parallèlement, la France renoncerait à fermer son Institut de Valence en Espagne mais elle réduit ses activités, arrête ses cours et licencie plus de vingt personnes. Où est la logique ? Au pays de Velazquez et de Cervantes, au cœur de l’Europe, les personnels, les utilisateurs, nos élus et les autorités locales n’ont pas pu faire entendre leurs justes protestations à la France. Leur amertume est grande devant ce repli soldant 130 ans d’histoire. Il suffirait parfois d’un « coup de pouce » pour que ce réseau unique au monde puisse maintenir son impact et sa capacité à faire rayonner la France, la Francophonie et ses cultures. Cela est symptomatique d’un certain désintérêt et d’un manque de confiance. Les Instituts souffrent depuis longtemps, les alliances également, encore davantage depuis la crise Covid. En France, des alliances ont dû se séparer de personnels, voire mettent la clé sous la porte, elles se cherchent un ministère de rattachement, semble-t-il… Qui s’intéresse à leur avenir ? Là encore, quelle est notre ambition ? Quelle place pour les francophonies dans toutes leurs spécificités et leurs richesses ?
Il faut penser l’après COVID-19. Si bien nos institutions ont su aborder la transition numérique avec réactivité, rien ne remplace pourtant le présentiel. Le facteur humain est une plus-value qui fait la force de ce réseau. Aucun organisme virtuel ne pourra remplacer nos Alliances et nos Instituts Français, qui sont avant tout des lieux de vie et de rencontre des cultures. Aussi notre réseau culturel doit-il tendre vers :
– Une professionnalisation de ses personnels grâce aux nouveaux moyens de formation en ligne et les partenariats avec des universités françaises.
– Une multiplication et une meilleure diffusion des outils mutualisables et des bonnes pratiques.
– Une meilleure articulation avec « l’équipe France », notamment avec les opérateurs Campus France, France Volontaires, Business France,...
– Une prise en compte des enjeux environnementaux (ex : certification ISO 14001) aussi bien dans ses pratiques quotidiennes que par la sensibilisation de ses publics.
Ki ou anvi fer ?
Laure Pallez & Philippe Loiseau, 23.07.2021
(Contributions de Abdelghani Youmni, Martine Djedidi et Antoine Lissorgues)